Témoignages

Leane

Petite Marie,

Moi, c’est Léane. J’ai un peu plus de deux ans et demi. Accroche-toi solidement, car ma vie, c’est du lourd. Je suis ce qu’on appelle un « enfant C.H.A.R.G.E. ». C’est un syndrome qui porte très bien son nom, comme tu vas voir.

Ma saga commence à l’échographie du cinquième mois. Papa et maman ont hâte de connaître le sexe de leur enfant. Chouette, c’est une fille ! Mais l’examen s’éternise, le gars semble soucieux, il essaye absolument de voir mon visage. Maman interroge : « mais enfin c’est si important que ça de voir à tout prix son visage ? ». Ben oui, apparemment… Dirigée chez un expert à deux reprises, le verdict finit par tomber :« Madame il y a un vrai souci, votre enfant à une fente bilatérale labio-maxillio-palatine ». Euh, je vous demande pardon ? Bref, j’ai un énorme bec-de-lièvre, quoi. Maman s’effondre. On lui parle alors de handicap, de risque de trisomie, de l’urgence d’une amniocentèse… qui finalement ne décèlera rien d’autre que ce fichu bec-de-lièvre. Papa et maman sont soulagés, et travaillent maintenant à mon accueil, l’arrivée de leur petite princesse qui sera différente, du moins physiquement… Et pour un temps limité, puisque par quelques tours de magie chirurgicale dont les médecins ont le secret, tout finira bien : une opération pour mes six mois, et roule ma poule, à moi les podiums !

Nous sommes le 2 juin 2013, je m’appelle Léane, je pèse 3,53 kg pour 48 cm et je vais bien ! Papa me découvre et a des étoiles dans les yeux, il est papa pour la première fois. Pour maman, c’est plus compliqué car elle redoute le regard et le jugement qu’auront les gens. Mais dès que je suis blottie contre elle, ma peau contre la sienne, elle se rassérène et me jure que tout se passera bien, qu’elle me protégera et que je serai toujours aimée malgré cette différence. Tiens, en écrivant ces lignes, voilà les larmes qui perlent à nouveau sur son visage, rien que de revivre ce moment d’émotion… Mon histoire aurait dû s’arrêter là. Mais le destin en a décidé autrement. J’avais décidé d’être unique, de challenger tout le monde et de démontrer que le corps médical ne pouvait pas tout contrôler.

J’ai deux jours : je suis en soins intensifs, branchée de partout avec des machines qui n’arrêtent pas de sonner dans tous les sens. Parce qu’avec cette petite bouche de traviole, impossible de m’alimenter, ni au sein, ni à l’aide de tétines spéciales, ni même par sonde naso-gastrique. C’est très problématique, ça. Maman, malgré ses douleurs et sa fatigue, se bat avec les blouses blanches pour m’y rejoindre, car après une césarienne aussi récente, on lui interdit de me suivre. Un véritable arrachement pour elle. La veille, le pédiatre avait aussi détecté un souffle au cœur. Maman ne panique pas pour ça, elle-même est née avec un souffle au cœur qui s’est résorbé par la suite, alors ! En revanche j’ai également un kyste au poumon, qu’il faudra surveiller. Mais bon, ça, c’est quand on aura le temps, pas tout à la fois, please !

J’ai quatre jours : le verdict tombe. Mon cœur est mal foutu, les vaisseaux mal formés, le sang ne passe pas dans les bons tuyaux. Mais je suis une battante, je le supporte bien. Bref, une chirurgie à cinq mois se programme. Maman est en colère, l’expert aurait dû voir cela in utero, non ? Et puisqu’on en est à la deuxième malformation diagnostiquée après celle de la bouche, un rendez-vous avec la généticienne s’impose. S’ensuit beaucoup d’infos alarmantes et autant de contre-infos dont je te passe le détail, plusieurs pistes hasardeuses et finalement fausses, mais un déluge de constatations désagréables : longs doigts, une oreille décollée, un visage trop carré. Bref, tout le monde est confus et maman n’en peut plus ! Ils annoncent qu’ils vont continuer à prospecter en me tripotant de partout. Bref, la « maison », cet endroit féerique dont maman me parlait, ça ne sera pas pour tout de suite.

J’ai dix jours : j’ai déjà fait la tournée de tous les experts médicaux. Papa et maman sont convoqués, on va enfin savoir qui je suis. L’avalanche des diagnostics commence, mon pauvre papa est officiellement largué :

– un problème de vision (colobome de la rétine)

– de futures difficultés dans la station assise et debout (une agénésie des canaux semi-circulaires vue à l’IRM)

– Mais a priori pas de problème auditif… Enfin, à creuser quand même.

Un nom tombe enfin : j’ai vraisemblablement le « syndrome C.H.A.R.G.E. », qui sera bientôt confirmé par une prise de sang. Maman me rejoint dans ma chambre, elle n’a pas l’air bien. Que vais-je donc devenir ? Mais ensemble, avec papa, ils se ressaisissent vite. Il le faut. Pas le choix. Ils se disent que tout reste possible et que notre famille est assez forte pour y arriver.

J’ai trois mois : je sors enfin de mon hospitalisation. Rien que pour me faire manger, il aura fallu plus d’un mois ! Maman qui est infirmière a insisté pour que l’on me pose une gastrostomie. Ah oui au fait, le jour de ma sortie, on apprend que j’ai aussi une surdité moyenne des deux oreilles. Après le tsunami qui s’est abattu sur nous, ça ne nous fait plus ni chaud ni froid. C’est vrai quoi, on n’en est plus à chipoter, là. On a accepté la différence et tout ce qui va avec. Alors une déficience sensorielle supplémentaire, franchement ! L’important maintenant, c’est de connaître enfin ce nid douillet dont mes parents me parlaient, notre « maison », pour y vivre des jours heureux et paisibles.

J’ai quatre mois : je me sens bien à la maison. C’est le moment de commencer à s’intéresser un peu à ce kyste au poumon qu’on m’avait conseillé de surveiller, histoire de bien terminer de tester l’amour de mes parents jusqu’au bout du bout. Je passe donc un scanner…. Suivi en urgence d’un IRM. C’est du chinois pour papa, mais maman pige tout de suite. L’image confirme les doutes, et je suis de nouveau hospitalisée. Tu l’as compris Marie, j’ai un cancer dans le poumon, qui va même s’aggraver et venir s’accrocher dans ma colonne. Tu vas vraiment finir par croire que je le fais exprès, Marie ! Dans le genre collectionneuse de galères en séries, je fais fort. Bref, je te passe les biopsies, les nombreuses cures de chimio et ma chirurgie thoracique.

Au milieu de cette galère, parallèlement, je me paye le luxe de me faire opérer comme prévu de mon petit cœur mal branché (défaut de fabrication d’origine) : cinq heures d’intervention s’il vous plait ! Au bout de dix mois de combat, en juillet 2014, il semble bien que je viens à bout de ce cancer, on prononce enfin le mot « rémission ». J’ai un peu plus d’un an, je ne comprends pas tout, mais mes parents soufflent enfin et sourient, ils sont heureux donc moi aussi. On peut ENFIN s’occuper de ce satané bec-de-lièvre qui défigure le bas de mon visage et qui surtout rend presque impossible l’alimentation. Je vais donc subir plusieurs opérations délicates et très compliquées pour réparer mon petit nez, ma petite bouche et mon palais. C’est pas de la gnognotte, crois-moi, mais un sacré challenge pour les chirurgiens ! Tout ça n’est pas facile pour moi, les cicatrices tirent et me font un peu mal, mais malgré ma fragilité, je surmonte tout, avec l’amour des miens.

Aujourd’hui Marie, je vais bien, j’apprends a vivre avec ma différence qui aux yeux de mon entourage n’est plus flagrante. Mais du fait de ce parcours hallucinant que j’ai eu, papa et maman ont désormais bien intégré que je ne serai jamais celle qu’ils imaginaient. Je suis celle que je suis, celle qui les a rendus plus forts, celles qui leur a fait accepter l’inacceptable, supporter l’insupportable. Et aujourd’hui, je sais qu’ils sont fiers ! Oui, fiers de leur petite Léane si courageuse. Ils réalisent que le handicap n’est pas un frein au bonheur, il est « le plus » qui donne un sens si fort à leur vie de famille. Cette vie qui a ses souffrances, ses mystères et ses énigmes que l’on apprend à accepter et surmonter, grâce à l’amour inconditionnel de la famille. La médecine fait ce qu’elle peut, mais elle a ses failles et n’est pas surpuissante… Contrairement à l’espérance, qui elle rend toute chose possible, tu peux me croire ! Et d’ailleurs je serai capable de faire de grandes choses malgré mon handicap, tu verras !

Moi, Léane, je dédie mon témoignage à tous les « enfants CHARGE » du monde, mes frères et sœurs de combat. Ma maman est si fière et émue que tu m’aies promue petite ambassadrice de ce lourd syndrome sur ta page « Tombée du Nid ».

Merci petite Marie de m’avoir lue, je t’embrasse fort, ainsi que toute ta communauté.

Léane (et sa maman Krystel).

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