Témoignages

Anaïs

Ma chère Marie,

Déjà plusieurs mois que je suis de près tes aventures et celles de ta jolie famille à travers la page “Tombée du Nid”. J’ai eu la chance de rencontrer ta maman lors de la dédicace de son livre à Lyon. Ce fut une très belle rencontre ! Depuis, je lis avec beaucoup d’attention et d’émotion les témoignages aussi touchants les uns que les autres de ta communauté qui, en peu de temps, est devenue une véritable chaîne d’amour, d’entraide et d’espoir. J’ai beaucoup hésité à t’écrire car je doutais que mon histoire, si particulière, ait sa place ici. Mais ta maman a réussi à me convaincre ! Elle est fortiche, tu sais, petite Marie !

Alors voilà : je suis la maman de deux adorables petites filles : Solenn (6 ans), Margot (2 ans) et d’un petit Ange, Anaïs (sœur jumelle de mon aînée Solenn). Nous avons appris ma première grossesse en janvier 2010. Mon mari et moi étions les plus heureux. Avant cette grossesse, je lui avais confié que mon rêve serait d’avoir des jumeaux ou jumelles. Il y en avait dans la famille et je trouvais que le lien qui les unissait était très fort.

J’ai tout de suite senti que je portais deux enfants, mais que cette grossesse serait compliquée… Eh oui Marie, les mamans ressentent certaines choses, ça ne s’explique pas ! Mon obstétricien tentait alors de me rassurer à chaque rendez-vous en me confirmant que cette grossesse était celle d’un seul bébé et que tout se passait à merveille. Je l’entends encore dire à mon mari : « Emmenez-la en vacances, il faut qu’elle se détende !». Je me sentais incomprise. Heureusement que mon mari était là pour me soutenir…

Et puis, cette terrible nouvelle le jour de l’écho morphologique au cinquième mois… Il y a bien deux fœtus (deux filles). On découvre une grossesse “monochoriale biamniotique”, c’est-à-dire un seul placenta et deux sacs amniotiques. En d’autres termes, de vraies jumelles… Mais l’une d’elles est condamnée : Anaïs. Elle est atteinte d’une hydrocéphalie majeure (dilatation ventriculaire cérébrale) qui occupe quasiment toute la boîte crânienne. Sa sœur Solenn semble avoir été épargnée, mais il nous faut faire des examens complémentaires (amniocentèse, prises de sang, IRM fœtale) pour s’en assurer et ainsi écarter tout problème génétique…

Le choc, Marie ! Mon mari et moi sommes effondrés. Je suis tout de suite orientée vers le service anténatal de l’hôpital et prise en charge par une équipe humaine et très professionnelle. Trois semaines plus tard, les résultats montrent qu’il n’y a pas de problème génétique mais que nous risquons de perdre également Solenn si Anaïs décède in utero. L’obstétricien de l’hôpital nous propose alors une “interruption sélective de grossesse ” en réalisant une ligature de cordon sur Anaïs.

Nous sommes désemparés. Je ne sais plus quelle décision prendre. Je ne veux pas qu’Anaïs nous quitte. Car enfin, qui sommes-nous pour ôter la vie de cette enfant ? Je ne veux pas non plus que sa sœur jumelle Solenn assiste à cela. Mais avons-nous le droit de risquer la vie de Solenn alors qu’elle est bien portante ? Tant de questions nous taraudent, Marie ! Mais les médecins nous laissent peu de temps pour y réfléchir, il y a urgence.

A contrecœur, nous décidons de nous plier à l’avis médical et je suis de nouveau orientée vers un autre hôpital qui pratique ce type de chirurgie fœtale (il y en a seulement deux en France). Nous arrivons la veille de l’intervention. Nous rencontrons le professeur qui va m’opérer. Il semble si sûr de lui, me dit que je suis entre de bonnes mains. Je reste muette, je souffre terriblement à l’idée de perdre Anaïs et de priver Solenn de sa présence. Car tu vois, Marie, elles étaient évidemment déjà très proches, très fusionnelles. Je n’ai pas fermé l’œil de la nuit, j’ai prié, beaucoup prié pour que Dieu nous laisse notre fille.

Le lendemain matin, on me prépare pour le bloc. L’infirmière me pose la rachianesthésie. Mais l’intervention ne se passe pas comme prévu, un vrai miracle se produit ! Impossible pour le professeur d’effectuer la ligature de cordon, alors que cinq minutes plus tôt, toutes les conditions étaient parfaitement réunies pour ce faire. Figure-toi qu’au tout dernier moment, la membrane qui séparait nos filles s’est rompue ! Les jumelles se sont alors retrouvées dans la même poche, leurs deux cordons entrelacés. Incroyable ! Le professeur ne sait donc plus quel cordon appartient à Anaïs. Il est obligé de tout arrêter !

Tu vois Marie, on ne fait rien comme les autres chez nous ! Passer d’une grossesse monochoriale biamniotique (un placenta et deux sacs amniotiques) à une grossesse monochoriale monoamniotique (un seul sac amniotique) n’est pas chose commune. Du jamais vu en France ! Et c’est une sacrée blague que nous ont faite les jumelles, in extremis ! Je suis tellement soulagée, Marie, même si je sais que le risque vient donc de s’accroître de les perdre toutes les deux.

De retour à Lyon, je suis hospitalisée dans le service de grossesse pathologique sous contrôle écho et monito. On programme ma césarienne trois semaines plus tard, soit deux mois avant le terme… Je suis si heureuse de terminer cette grossesse avec nos deux filles réunies. Anaïs nous a quittés le jour de l’accouchement, peu après la naissance de Solenn. Elle semblait apaisée comme si elle avait accompli sa mission d’accompagner sa sœur jusqu’au bout et de faire de nous une famille unie. Elles se ressemblaient beaucoup.

Solenn a été quelques semaines en néonatologie (tout petit bébé d’1,6 kg).Là-bas, une psychologue avec qui je m’étais liée d’amitié venait régulièrement la voir et lui parlait d’Anaïs. Elle m’a expliqué qu’il fallait lui parler de sa sœur car elle souffrait certainement de son absence… C’est donc ce que nous avons fait : ne rien lui cacher. Solenn a fait une dépression du nourrisson à 1 an. Elle avait des moments d’absence, son regard se perdait de longues minutes, tourné vers le ciel… Mon mari et moi savions que c’était sa manière à elle de communiquer avec sa sœur. Une pédopsychiatre l’a suivie pendant toute cette période de dépression. Solenn a commencé à bredouiller des mots très tôt mais sa première vraie phrase a été pour sa sœur jumelle. « Elle est où, ma sœur ? ». Bouleversant, non ?

Tu vois, Marie, Anaïs est toujours là, parmi nous. On le sait, on le sent. Elle nous a tant apporté ! Et aujourd’hui, Solenn parle souvent de sa sœur jumelle, naturellement, et même à sa petite sœur Margot. Elle se plait à dire à ses camarades de classe qu’elle a beaucoup de chance de connaître un ange !

Céline (maman de Solenn, Anaïs et Margot)

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