Témoignages

Alphonse

Bonjour Marie et ses petits potes !

Moi c’est Alphonse, onze mois et des poussières. Depuis que tu es devenue une star, Marie, ma maman ne rate pas une publication de ta page “Tombée du Nid”. Ça lui fait du bien. Un jour, ta maman Clotilde l’a encouragée à témoigner, et elle s’est dit que c’était peut-être à mon tour de faire du bien à d’autres familles.

Chez moi, ce n’est pas une histoire de chromosome, je suis plutôt du genre Thibaud ou Isaac (big up les copains !). Mais au fond, on est tous un peu « extra-ordinaires », chacun avec nos trucs en plus, nos trucs en moins, nos trucs cassés ou abîmés. Installe-toi sur ta petite chaise en osier, je te raconte tout ça.

J’ai commencé à faire le malin six semaines trop tôt : j’ai arrêté de bouger ! Je me suis donc payé une arrivée surprise par césarienne, dans l’urgence et le stress ! Une heure avant, j’entendais encore mes parents pouffer comme deux nouilles sur le choix du prénom. « Hey déconnez pas les gars, j’arrive en vrai, là ! ». Résultat : « 44 cm, 2kg200, il va bien, il respire ! ». Danse de la joie, everything is under control !

Sauf qu’à quatre heures de vie, je me suis fait une jaunisse carabinée. Si tôt, il paraît que ce n’est pas classique, mais mon parrain, lui, m’avait déjà bien cerné : « Toi, je t’aime déjà, tu vas rien faire comme tout le monde ». J’ai alors passé tant de temps à me dorer la pilule sous les UV qu’une de mes cousines chéries réclamait « Alphonse bleu » pour voir une photo de moi, et une de mes tantes adorées me surnommait « le Chocapic », tellement j’avais bonne mine.

En plus de cette jaunisse qui ne voulait pas me lâcher, je ne faisais que pioncer, n’arrivais ni à ouvrir les yeux, ni à manger correctement. J’ai fait mon maximum pour rassurer mes parents, alors au bout de deux semaines il y a eu un léger mieux. On allait enfin rentrer à la maison, mais par sécurité on devait me faire une échographie transfontanellaire (une écho de la tête, quoi). Verdict des analyses : hémorragie intra-ventriculaire avec dilation du ventricule gauche. T’as pas compris ? T’inquiète, Marie, personne n’a rien compris. Mais je me suis retrouvé en soins intensifs en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, me suis payé deux ponctions lombaires. Ça faisait des bip bip bip tout le temps. Trop pénible cet endroit ! Quelle angoisse…

Trois jours plus tard, direction le bloc pour qu’on me pose une dérivation dans la tête (une histoire de liquide en trop, plutôt complexe le truc). Moi si minus, et déjà tant d’épreuves, ça devenait infernal.

Et puis il y a eu les résultats de l’IRM, le coup de grâce : on a annoncé à mes parents que j’avais le cerveau tellement abîmé que je n’allais pas vivre… Qu’il n’y avait pas vraiment d’explication, que ça s’était passé avant ma naissance… Si j’avais pu, je leur aurais bien crié : « Mais vous êtes maboules ou quoi, vous êtes médecins, pas Madame Irma ! » (les médecins, aujourd’hui, ils disent qu’ils n’ont jamais dit ça toussatoussa, que mes parents n’ont rien compris toussatoussa, mais bon, faut pas non plus prendre ma famille pour des babous, ils savent bien ce qu’ils ont entendu, vu et ressenti ! Enfin bref).

A vingt jours de vie, je suis donc passé en mode « soins palliatifs ». Pas évident, le concept… Bon, j’essaie de raccourcir un peu mais en vrai ça a été un peu (extrêmement) compliqué pendant encore quatre mois, ces soins palliatifs à domicile. Autant te dire que mes nombreux visiteurs (j’ai bien l’impression que mes parents ont une famille parfaite et des amis en or) avaient toujours un mouchoir caché dans la manche. Mais ce qu’ils ne savaient pas, c’est qu’à force d’amour, de bienveillance, de douceur, de “rechargeage” des batteries de mes parents, de câlins et de bisous, bah moi j’avais encore plus envie de montrer comment j’étais un super poulet. Je me suis battu battu battu, t’as pas idée Marie ! Et c’est carrément grâce à ce débordement d’amour autour de mes parents que je me suis dit : « Bon lâche pas, y a trop de Love par ici, ça doit valoir le coup ! ».

Alors j’ai commencé à me réveiller et à manger de plus en plus, jusqu’au jour où j’ai fait le dingue. Un truc, je te raconte pas (je crois que maman en a pleuré) : j’ai répondu à la voix de mes parents par un sourire. Oui, un SOURIRE. Je crois que c’est à partir de là, à ce moment précis, que tout a changé. On atteignait enfin ce « contact » tant attendu, et son copain « l’espoir ».

Branle-bas de combat, changement de cap, nouveau mot d’ordre : me donner toutes mes chances ! Du coup, fini la glandouille et les papouilles. Kiné à gogo, ergo, bilans en tout genre, pose d’une nouvelle valve et tout et tout. Les mamies s’inventent même spécialistes de la motricité et me font bosser entre deux rendez-vous. Fini le palliatif, à moi le curatif !

Aujourd’hui, je suis plus que vivant et j’ai progressé, t’as pas idée, Marie. Je gigote, je raconte ma vie, je joue, je pousse des cris de joie (bon il parait que c’est un peu flippant parfois, mais c’est ça qui fait mon charme), et je mange plutôt hyper bien. Mais par-dessus tout, je souris sans arrêt avec la bouche, mais aussi avec les yeux. Et ça, Mam me dit qu’elle le prend en plein cœur à chaque fois. Alors comme ça m’éclate de la faire fondre, eh bien je continue tout le temps.

Personne ne sait comment je vais grandir, mais bon, ça vaut pour tout le monde, ça. Alors mes parents sont, depuis onze mois maintenant, partisans du pas à pas, du jour le jour. Ils ne veulent plus de donnée scientifique ni de pronostic. Désormais, ils n’ont qu’une ligne de conduite : faire confiance aux bonnes étoiles qui s’occupent de moi à l’hôpital et au CAMSP, et m’observer. Et à chaque progrès j’ai l’impression qu’on me décerne un prix Nobel : paparazzades et films sous toutes les coutures ! Je me laisse faire car je crois bien, sans trop vouloir me la raconter, qu’ils sont pas mal fiers de moi, ces deux-là.

Alors voilà Marie, tout comme toi et tous tes petits potes qui témoignent, je suis la preuve qu’on peut avoir un départ différent, faire des frayeurs aux grands, leur donner l’impression que rien ne sera plus comme avant (ce qui est vrai mais pas forcément dans le sens qu’ils imaginaient), et pourtant faire fondre d’amour ceux qui prennent le temps de s’arrêter un instant dans notre regard.

Ma tante adorée (celle qui m’appelait « le Chocapic ») a dit un jour que j’étais comme un petit « ciment d’amour » qui avait coulé entre nous tous, parce qu’en plus de me faire aimer, j’ai ouvert les yeux des grands, et aussi leurs cœurs pour qu’ils s’aiment encore plus, ou plutôt différemment, en mieux !

Alors Marie, j’espère qu’on va tous continuer longtemps à faire couler ce « ciment d’amour » entre les gens, au-delà même de nos familles, pour que nous, petites croquettes « extra-ordinaires », on n’ait plus jamais peur de grandir.

Je t’envoie plein de doux bisous, Marie, ainsi qu’à ta grande famille, et j’ai hâte de découvrir comment toi aussi tu vas grandir.

Alphonse (sous la plume de Mathilde, ma maman à moi)

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