TERRE DE COMPASSION – Marie, ne t’en fais pas. A ta naissance, ta maman biologique a eu si mal, s’est sentie si seule et si désemparée qu’elle t’a confiée à l’Etat. Celui-ci accomplit parfois de bonnes choses. Il a fait de toi une petite pupille, et à ce titre, c’est tous les Français qui ont pris soin de toi.
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Marie, ne t’en fais pas.
Les dames de la pouponnière t’ont entourée de leurs soins pendant sept longs mois, en conservant ton prénom d’origine : un prénom pareil, ça ne se change pas. Des médecins compétents de l’Institut Lejeune t’ont examinée très régulièrement sous toutes les coutures. Ils ont vu une chose très positive, c’est que ton cœur fonctionnait nickel et ne mélangeait pas le rouge et le bleu. Tu vois, petite Marie, t’es une veinarde, tu as échappé à une grosse opération, beaucoup ne sont pas dans ton cas. En revanche, ils étaient très préoccupés par ton corps vraiment tout mou (ton hypotonie sévère) et par ton absence totale de relation avec autrui (grosse suspicion d’autisme). A quoi pensais-tu, petite Marie ? A quoi rêvais-tu ? Qui attendais-tu ?
Marie, ne t’en fais pas.
Une nouvelle maman et un nouveau papa ont débarqué, sortis de nulle part, pour que tu les adoptes comme tes parents. Ils avaient eu une espèce de déclic à la naissance de leur quatrième, un petit Martien sorti tout vert et qui avait failli y rester (ce couillon avait pris le cordon ombilical pour un collier à trois rangées). Six ans et deux nouvelles naissances plus tard, leur projet d’adoption avait mûri : ils étaient « sortis de leur propre terre ».
Marie, ne t’en fais pas.
Tes futurs parents ont alors poussé les portes du Conseil général et entamé les démarches. Ils en ont bavé pour arriver jusqu’à toi, tu ne peux pas imaginer. C’est bien normal, l’Etat ne confie pas ses pupilles à n’importe qui ; il fallait bien qu’il prenne un maximum de garanties, qu’il interroge tes futurs frères et sœurs, qu’il teste et triture tes futurs parents jusqu’à leurs limites, qu’il vérifie s’ils n’étaient pas complètement cinglés, ou incapables de s’occuper de toi toute leur vie ! Quelques murs d’incompréhension ont rendu cette gestation douloureuse, j’t’explique même pas !
Marie, ne t’en fais pas.
Tes nouveaux parents t’ont enfin prise avec tendresse dans leurs bras et emmenée dans leur maison, où ta chambre était prête, meublée d’un petit lit blanc tout moelleux et qui sentait bon. Autour de toi, six têtes ébouriffées se sont penchées : ta fratrie. Ils t’ont dit : « Marie, avec toi, ça va être comme sur des roulettes ! Tu nous as adoptés, petite Marie, merci ! » Ils étaient marrants. Au bout d’une semaine, tu avais appris à les regarder, tu entrais enfin en communication avec tous ceux de ta famille, c’était comme une nouvelle naissance !
Marie, ne t’en fais pas.
Ta maman a griffonné un journal dans les cahiers de brouillon de tes frères et sœurs pendant qu’elle faisait toutes les démarches de l’agrément et de l’adoption ; pour regonfler ses batteries, réfléchir, ne pas oublier, te laisser une trace. Elle est un peu nulle en grammaire et en vocabulaire, mais curieusement, son journal s’est transformé en bouquin. Tout était écrit, comme ça, entre deux caddies de supermarché, entre le lavage et l’essorage, sur le bord de la table à repasser, entre la réunion de l’école et le tournoi de ping-pong ; il n’y manquait plus que les titres. Figure-toi qu’il s’en vend des milliers et des milliers, de ce petit bouquin, et qu’il provoque des réactions bizarres chez les lecteurs : ils rient et pleurent en même temps. Et en le refermant, ils voient la vie différemment.
Marie, ne t’en fais pas.
Ce livre n’est pas fait pour les spécialistes du coin qui s’y connaissent bien mieux que ta maman, ce livre part vers toutes les « périphéries » ! Quelques personnes plus riches d’expériences expliquent à l’envi, avec leurs phrases de savantes, que ta maman, c’est rien qu’une crâneuse, écervelée et capricieuse, qui n’a rien compris à l’adoption, qui voudrait juste qu’on l’admire comme une princesse ou une sainte. Mais ta maman ne veut pas s’en soucier ; son boulot à elle, c’est de prendre soin de ton papa et de ses enfants, et tu es l’un d’eux. Les amis de tes parents ne sont pas loin, parent les coups, et je suis l’un d’eux. Te voilà bien protégée, avec les tiens, dans ton nouveau nid.
Marie, ne t’en fais pas.
Ta maman reçoit surtout une multitude de marques d’admiration, voire d’encensement. Elle remercie bien sûr, mais ne veut pas s’en soucier non plus. Naturellement, les gens la trouvent courageuse ; or elle considère que de t’avoir, eh ben ce n’est pas du courage, c’est une chance. Oui, « la différence est une chance ». Le vrai courage, c’est celui de toutes les mamans au quotidien, sans exception : maintenir un esprit de fête et de joie, même quand on a la flemme ou qu’on est crevée, et en garder encore sous le pied pour pouvoir faire face aux imprévus et aux épreuves.
Marie, ne t’en fais pas.
« Tombée du nid », ce n’est pas une encyclique ou un manuel sur l’adoption, c’est juste un journal sans prétention, mais qui touche les cœurs des grands et des moins grands ; et nos cœurs, ils en ont rudement besoin par les temps qui courent, crois-moi. Ça rapporte un peu de pognon, et ce pognon, tes parents n’en ont pas vraiment besoin puisque ton papa arrive à joindre les deux bouts. Les droits d’auteur, ils servent intégralement à aider les autres « tombés du nid », qui comme toi n’ont pas eu de chance au départ ou à l’arrivée.
Marie, ne t’en fais pas.
A ton baptême, tu pionçais tranquille, mais le curé a béni ta maman biologique. Si jamais elle t’a repérée en catimini, elle peut être fière ; fière d’avoir fait le bon choix ; fière d’avoir vaillamment assuré ton avenir ; fière et soulagée de pouvoir désormais ôter la chape de la culpabilité que la société met si souvent sur les épaules des femmes, pour désormais se sentir comme toi : « libérée, délivrée », comme le chantent à pleins poumons tes grandes sœurs dans la voiture ; et éclater de rire, croquer la vie.
Marie, ne t’en fais pas.
Tu grandis à la vitesse d’un escargot. Tu as bientôt trois ans mais tu ne parles pas, ne marches pas, tu te contentes de ton biberon et de petits pots, puisqu’un simple bout de pain à mâchouiller t’étoufferait. Tu veux que je te dise, Marie ? Eh ben on s’en fiche, de ton absence de performances. Parce que le rythme, c’est toi qui le fixe. C’est toi le boss, Marie. T’es très en retard, qu’ils disent ! Mais ça te fait bien rigoler, Marie, parce que du coin de ton parc, assistée de ton nounours, tu as un super-pouvoir : celui d’envoyer des baisers d’Amour à tous les « tombés du nid » !