Bonjour Petite Marie,
Je suis la maman de Sonia, 3 ans, et de Mellina qui souffle sa première bougie aujourd’hui, 3 juin 2016. Je voulais marquer le coup pour ce premier anniversaire en te parlant de la grossesse angoissante que j’ai eue pour Mellina, et à travers mon histoire, parler à toutes les mamans qui lisent « Tombée du Nid ».
Au quatrième mois de grossesse, l’échographe détecte deux malformations graves : une cardiopathie et une fente labiale. Il soupçonne fortement une trisomie 13 ou 18, et dans le meilleur des cas une trisomie 21. Il dit que même si ce problème chromosomique n’était pas confirmé par l’amniocentèse, l’interruption de grossesse serait bien entendu proposée et accordée.
Je fais ce qu’il ne faut jamais faire : je me renseigne sur Internet. L’avenir s’annonce noir pour mon bébé comme pour moi, sa mère. Je ne fais que pleurer. Le 23 décembre, jour de l’amniocentèse, la gynécologue programme directement mon interruption de grossesse pour la première semaine de janvier. Je suis sonnée par toutes ces nouvelles, me laisse guider en « mode automate »… Trois jours plus tard, coup de fil de la gynéco : « a priori, pas de trisomie, Madame. Il serait intéressant d’attendre dix jours de plus avant l’interruption, pour avoir le résultat du caryotype ».
Or les dix jours se transforment en un mois et demi d’attente angoissante. La généticienne harcèle le labo et parallèlement me propose encore à deux reprises l’interruption (elle faisait son job et ne m’a pas jugée, je ne lui en veux pas…) Enfin, les résultats tombent : « On ne peut vous dire ni blanc ni noir, Madame. Tout dépend si vous voyez le verre à moitié plein ou à moitié vide. Si vous avez un enfant handicapé, vous l’aimerez quand même ». Ca merci, je n’en ai aucun doute, mais c’est l’incertitude qui me pèse… Et la généticienne ajoute : « Si vous optez pour l’interruption de grossesse, pensez à accepter l’autopsie, pour qu’on sache enfin ce qu’elle avait ».
Alors là, Marie, crois-moi, le ciel me tombe sur la tête. Mais cette phrase est en fait providentielle, un électrochoc, elle me fait sortir de mon « mode automate ». Car oui, on est en train de me demander de faire le pire choix de ma vie : un choix qui pourrait tout changer, de manière irrémédiable… Je réfléchis à cette interruption de grossesse, son déroulement, le produit qu’on va injecter à mon bébé que je sens vivre et bouger, afin que son cœur cesse de battre. Je fais malgré moi le lien avec les condamnés à mort à qui on injecte aussi un produit. L’idée me devient insupportable, qui plus est pour mon bébé innocent… Et ce serait à moi, sa mère, de donner l’accord pour exécuter la sentence ?!
Alors non ! Je décide d’être de ceux qui voient le verre à moitié plein. Je continue ma grossesse tant bien que mal. Le « pire », c’est quand je souhaite presque que la nature fasse son travail de sélection naturelle. Le « mieux », c’est quand je tâche de lâcher prise pour me remplir d’espérance. Il se trouve que nous sommes croyants (mon conjoint Stéphane est chrétien et moi musulmane) et peu à peu, il nous semble à tous les deux plus facile d’affronter notre destin, aussi dur s’annonce-t-il, plutôt que de courir le risque de porter le fardeau de la culpabilité et des regrets toute notre vie… Pourquoi devrions-nous à tout prix changer les choses qui ne nous conviennent pas ? Comment pourrions-nous imaginer contrôler l’incontrôlable, expliquer l’inexplicable ?
Nos croyances nous ont certainement aidés à rester « rationnels ». Oui Marie, la « raison » nous a fait réaliser que stopper une petite vie, sur des suppositions de surcroît, ce n’était tout simplement pas concevable. Après tous ces « Pourquoi ? » et tous ces « Pourquoi NOUS ? » désespérés, on a fini par se dire : « Eh bien pourquoi pas ? », et « Au fond, pourquoi pas NOUS ? ». On a réalisé qu’on n’avait pas à subir une « punition », mais à accepter notre « destin » mystérieux et inconnu… Essayer de vivre simplement la vie comme une grande aventure, finalement. Et dans l’aventure, l’issue n’est jamais connue d’avance, sinon ce n’est plus une aventure, n’est-ce pas, Marie !
Mellina est née le 3 juin, le plus beau cadeau d’anniversaire pour moi car j’ai perdu les eaux juste après avoir dégusté mon propre gâteau d’anniversaire (je suis du 2 juin). Je me suis sentie libérée de cette grossesse. Finalement, les soucis de Mellina étaient devenus secondaires : elle était là, elle était mon bébé, ce bébé que je n’avais pas réussi à aimer pendant la grossesse et avec qui je devais rattraper maintenant ce temps perdu, le temps précieux qui fait grandir l’amour dans nos cœurs.
Malheureusement, à dix jours de vie, ils ont découvert une troisième malformation : un système double rénal. Cette troisième malformation est la moins grave des trois, mais elle a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. J’ai énormément pleuré, c’était le coup de massue. Je n’en ai que très peu parlé autour de moi. Il me semblait qu’il n’y aurait jamais de répit. Heureusement que cette troisième malformation n’a pas été détectée pendant la grossesse, j’ai des frissons en y pensant, si tu vois ce que je veux dire…
La première année de Mellina n’a pas été tous les jours facile : presque neuf mois nourrie avec une sonde naso-gastrique, de longues périodes de réanimation, une période de coma, un arrêt cardiaque pendant son opération, trois mois à l’hôpital. Aujourd’hui, ma puce fête son premier anniversaire. A son actif, trois opérations réussies (deux du cœur et une de la lèvre) et ils nous reste à faire l’été prochain celle du voile du palais. De l’avis de la généticienne et de la neuro-pédiatre, Mellina va bien maintenant. Les spécialistes nous ont bien prévenus qu’ils ont peu de recul pour être catégoriques sur son avenir… Bien trop peu de cas recensés, car généralement les grossesses sont interrompues en cas de malformations. Mais malgré ses malformations génétiques, Mellina n’a pas de handicap particulier et se développe parfaitement.
Mellina se tient assise, se tourne et se retourne, souriante, éveillée. Il se peut bien qu’elle n’ait plus besoin d’opération du cœur à l âge adulte. Et même ses reins se sont mis à fonctionner parfaitement, c’est ce que nous a confirmé la scintigraphie réalisée avant-hier. Je la regarde avec admiration. Elle est merveilleuse de courage. Elle m’a donné une force incroyable et une leçon de vie. Elle m’a appris à vivre l’amour puissance 100 ! Chaque jour, en me levant, je sais pourquoi je suis là et comme la vie est précieuse.
Par ce témoignage je voudrais rassurer les mamans qui seraient un jour amenées à passer par ces épreuves, car ça n’arrive pas qu’aux autres. Il ne faut pas se précipiter vers une interruption de grossesse. Entends-moi bien, Marie. Je ne juge aucune femme qui « arrête ». Dans les épreuves, chacune fait comme elle peut, et chacune résiste avec les armes qu’elle a et les forces qu’elle peut puiser face aux pressions, aux conseils extérieurs et aux avis médicaux. Et puis toutes les femmes n’ont pas la chance que j’ai, celle d’avoir à mes côtés un gars aussi merveilleux que Stéphane, le papa de Mellina. Oui Marie, Stéphane m a toujours beaucoup soutenue dans le meilleur et dans le pire. Il a systématiquement positivé et insufflé de l’espérance pour notre couple, malgré les mauvaises nouvelles qui s’amoncelaient. C’est aussi grâce à lui que dans ce choix qu’on m’imposait de faire et qui ne devrait pas exister, j’ai choisi la moins pire des solutions. Il s’en est fallu de peu.
Ce témoignage est aussi pour moi une thérapie et un cri du cœur ! Certains amis m’avaient dit d’arrêter la grossesse. Ils avaient tous l’exemple d’un cousin d’une amie d’une tante qui avait un enfant handicapé… Ils pensaient bien faire et me soulager… Ils ne se rendaient pas compte de la réalité concrète d’un tel « choix »… Et ce n’était pas facile pour Stéphane et moi de passer pour des inconscients, d’avoir à nous justifier. On a eu de la chance, une chance dont tant de parents décident hélas de se priver. Oui, de la chance, Petite Marie ! Car Mellina nous a enseigné la compassion envers autrui et donné des leçons d’humanité.
Merci, Petite Marie, pour tout cet espoir et cet amour véhiculés dans le livre de ta maman et sur cette page « Tombée du Nid ». Car j’aime y retrouver cette même compassion et cette « réhumanisation » qui rayonnent dans ta communauté « Tombée du Nid », et dont notre monde a un besoin vital.
Je t’embrasse fort, Petite Marie
Fouzia, maman de Sonia et Mellina