Bonjour Marie, ma « grande » amie !
Aujourd’hui 25 mai, je souffle trois bougies ! On a pas mal de points communs, à commencer par notre prénom ! Mais moi, je ne suis pas « tombée du nid », j’ai « créé un séisme », d’abord parce que papa et maman n’avaient pas vraiment prévu de huitième enfant dans une fratrie déjà nombreuse et un peu farfelue. Puis ils se sont dits que quand il y a de la place pour sept, il y en a pour huit. Il n’y avait qu’à ouvrir encore un peu plus les vannes de l’amour dans la famille ! Mais Maman a bien prévenu les médecins : elle voulait une grossesse tranquille. Qu’on lui fiche la paix, quoi. Oui bon OK, elle avait plus de 40 ans, mais dans tous les cas, son bébé, elle l’aimait et le gardait, alors pas d’examens ou de tests inutiles, hein ? Tranquille, la grossesse…
Sauf que l’échographe qui n’a vu qu’une seule artère à mon cœur en a conclu que je ne survivrai certainement pas à ma naissance. Maman en larmes s’est précipitée à la chapelle de la rue du Bac pour pleurer et prier un bon coup, avant de rentrer à la maison, l’air de rien. Mes frères et sœurs n’ont rien vu ! Le plus amusant, c’est que papa avait eu le même réflexe d’aller pleurer dans la même chapelle… Ca, c’est pour t’expliquer pourquoi je m’appelle comme toi, Marie ! Et on a le plus beau des prénoms.
Quelques semaines après, le cardio-pédiatre (Bertrand qui est devenu mon copain) a rassuré les parents. Mon cœur avait bien une deuxième artère, mais toute riquiqui. Et donc ma malformation (une tétralogie de Fallot complexe) était certes très lourde, mais opérable. Quel soulagement pour maman qui ne dormait plus ! Mais Bertrand a bien expliqué sa crainte d’un problème chromosomique associé à la cardiopathie. Maman n’entendait qu’une chose après ces semaines si difficiles : c’est que j’avais une chance de vivre malgré tout ! Son sourire revenait et elle savait enfin comment annoncer la chose aux grands : que j’avais une grosse malformation cardiaque, que cela allait être difficile, mais qu’on allait se battre tous ensemble en faisant confiance à Marie.
Pour une grossesse tranquille, maman a été servie. L’échographe a multiplié les rendez-vous pour prouver qu’il était super fort et que j’étais bien trisomique. Mais moi, je restais bien camouflée et papa et maman entraient dans mon jeu en refusant tous les tests invasifs qui auraient risqué de mettre un peu plus ma vie danger, pour rien.
Sauf qu’à sept mois de grossesse, je n’ai pas pu continuer à me planquer. Je ne grossissais plus et mon petit cœur commençait à flancher à chaque contraction. On m’a fait sortir en urgence. L’avant-veille de ma naissance, on a encore demandé à mes parents s’ils étaient vraiment sûrs de ne pas vouloir me laisser mourir tranquillement dans le ventre de maman…Non mais tu y crois à ça ? Il a fallu que Maman demande au gynéco s’il ferait la même proposition s’il n’y avait aucun soupçon de problème chromosomique. « Ben non Madame, à ce terme, tout enfant est viable, voyons ». Alors mes parents lui ont fait gentiment remarquer que sa proposition sentait très fort l’eugénisme. Ils ont dû lui expliquer que quel que soit mon état de santé, j’avais droit aux mêmes soins que n’importe quel enfant… Non mais !
Voilà, Marie, comment je suis née le 25 mai avec plus de deux mois d’avance, au même moment où tu étais accueillie dans ta famille. Maman avait eu peur que je sois moche et fripée car elle n’avait jamais eu de bébé prématuré. C’était son huitième accouchement et elle pensait tout savoir. Or elle s’est émerveillée de ma perfection ! J’ouvrais les yeux, je criais vigoureusement. Bon, d’accord, j’étais toute petite : 1,6kg pour 39cm… Un mini rosbif, comme a dit papa ! Mais parfaite !
Etais-je trisomique ? Pas évident, car mon papa est Eurasien, alors les yeux bridés chez nous, c’est une spécialité maison. Au résultat du caryotype, Maman a pleuré un bon coup car jusqu’au bout elle avait voulu croire l’inverse. Elle avait peur du monde autour de moi, des moqueries des gens, qu’on me soigne mal, que je me retrouve seule plus tard dans une société hostile… Alors elle a décidé d’être courageuse et de me faire confiance, de faire aussi confiance aux autres, à vous tous, pour m’aimer. Et elle s’est fait la promesse de tout faire pour « changer le monde » pour moi, à sa petite mesure. Papa lui, a été super fort. Il a affirmé tout heureux que grâce à moi, on rencontrerait des gens « vrais » et super, pas vrai Marie ? Maman s’est reposée sur lui ! C’est même lui qui m’a donné mon premier bain, lui qui n’en avait jamais donné aux grands avant leurs trois mois sous prétexte qu’ils étaient trop fragiles ! T’as vu ce que j’arrive à faire !
Mon petit cœur avait du mal à supporter cette sortie impromptue, il n’y arrivait pas et je m’éteignais doucement. Alors les parents m’ont tout de suite baptisée, juste avant de partir en réanimation. Les chirurgiens ont tenté une opération très hasardeuse (arrêt artificiel de mon mini-cœur pour y poser un « Blalock »), mais j’ai fait une thrombose. Ils ont réouvert et essayé de le déboucher. Après des heures d’angoisse, le cardio a annoncé que l’opération était ratée. C’était la fin… Retour illico de papa dans la même chapelle, ils étaient à bout. Eh bien le surlendemain, hourrah, le « Blalock » n’était plus bouché.
Bon, le jour de la sortie, j’ai fait un malaise soudain et c’est mon infirmière Mélanie qui une fois encore m’a sauvé la vie par sa réaction ultra rapide en m’intubant d’urgence. Maman n’en pouvait plus ! Elle avait l’impression d’être un putching ball sur lequel on tapait dès qu’elle relevait la tête…
C’est finalement trois mois après ma naissance que j’ai pu rentrer à la maison. On a fait une méga fête, il y avait même nos déménageurs autour de mon petit berceau ! Chacun de mes frères et sœurs faisaient des selfies avec moi. Une vraie star ! Nous avions eu tellement peur de ne jamais pouvoir vivre tous ensemble ! Quelques mois plus tard, j’étais devenu une grosse mémère solide. Il était temps de retourner à l’hôpital pour finir de réparer mon cœur. L’opération a réussi, mais un méchant microbe est venu envahir mes poumons. Je suis restée dix-huit jours sous curare, paralysée, une quatrième fois entre la vie et la mort, à lutter contre cette infection. Regarde le pêle-mêle, Marie. Maman a choisi pour toi la photo la plus merveilleuse qui soit : au milieu de tous les tubes : mon premier sourire après presque trois semaines sous curare ! Sur l’autre photo à Lourdes, on est presque au complet (il en manque deux).
Je crois que mes parents ont été bouleversés par tant d’aventures et ont appris que dans la vie, rien n’était dû, tout était don ; qu’il fallait être reconnaissant pour chaque sourire et que les petits soucis de la vie quotidienne, les réussites scolaires ou sociales, n’avaient pas grande importance à l’aulne de la Vie… Alors tu vois, Marie, la trisomie, c’était secondaire ! Comme dit maman maintenant : « nous avons tellement pleuré pour que Marie vive que nous n’allons pas nous lamenter aujourd’hui parce qu’elle est trisomique ». Chaque sourire est une fête car nous avons la Joie de le vivre ensemble. Il s’en est fallu de si peu, à maintes reprises, que nous ne vivions pas cette joie ! Et désormais nous la vivons en 3D.
Voilà Marie, ma « grande » amie, ma petite histoire rapidement racontée. J’ai « créé un séisme », certes, mais un séisme d’amour. Maintenant, je me développe au mieux.
Tu peux suivre mes progrès sur ma page @Marie « Séisme », car maman pense qu’il est important de témoigner de la Joie que ma petite présence trisomique ou non répand autour de moi !
https://www.facebook.com/Marie-S%C3%A9isme-231193763890890/
Marie, trois ans aujourd’hui (sous la plume de ma maman Chantal)