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Clotilde Noël, l’amour tombé du ciel | La vie

La Vie – Parents de bientôt huit enfants, Clotilde et son mari Nicolas ont adopté, en 2013, Marie, enfant trisomique. Cette mère de famille témoigne de la longue attente de cette petite fille, de son accueil. Sous le signe d’un bouleversement intérieur.

 

Par Anne-Laure Filhol

 

« Adopter un enfant handicapé, quand on n’a aucun problème de fertilité peut paraître a priori fou et saugrenu. L’idée est en fait extrêmement naturelle, dès lors qu’elle s’inscrit dans un unique désir : aimer un enfant, sans condition. Je peux aujourd’hui en témoigner. En 2004, nous avions, avec mon mari, quatre enfants rapprochés. Cette année-là, nous nous sommes sentis prêts à être à nouveau parents. Un jour où je me trouvais en silence dans mon atelier de couture, cette soif d’aimer un nouvel enfant a jailli plus profondément en moi : “Et si nous allions chercher un enfant qui serait déjà là et qui aurait besoin d’une famille ?” À peine éclose, l’idée de l’adoption m’est apparue limpide, évidente. Elle englobait tout ce que la maternité représentait pour Nicolas et moi : nos enfants, fruits de nos génomes, n’avaient pas été conçus pour notre petit plaisir et ne nous appartenaient pas.

 

 

J’ai d’abord gardé pour moi ce désir fou. Consciente de la gravité d’une telle décision, je voulais discerner, mûrir les choses, les solidifier à l’épreuve du temps. En outre, je devais me préparer à la réponse de mon mari : et s’il refusait ? Mon envie d’adopter était si forte que je craignais pour la survie de notre couple. J’avais prévu de le lui annoncer à un moment propice, mais un soir, alors que nous dînions tous deux à la maison, mes paroles sont venues spontanément à mes lèvres. J’ai été saisie par la réaction de Nicolas : “Évidemment”, a t-il rétorqué entre deux bouchées. Alors qu’il n’y aurait sans doute de lui-même « jamais pensé », il se sentait prêt à se lancer dans l’aventure. Je vois là toute la beauté de la vie à deux : c’est moi qui ai insufflé l’idée d’adoption, mais c’est Nicolas qui, par la suite, m’a aidée à la vivre, par sa capacité à aimer de manière simple et ajustée.

 

 

Au fil de nos démarches, nous avons découvert que peu de familles adoptaient des enfants dits “à particularités”. Désireux d’accueillir une personne de manière inconditionnelle, nous avons éliminé les critères d’ethnie, d’origine sociale, d’âge, ou de handicap. Au bout de six ans de réflexion et de préparation en famille, nous avons franchi les portes du conseil général, prêts à recevoir cet enfant que nous aimions déjà, au même titre que nos propres enfants lorsqu’ils étaient encore dans mon sein. Cet amour ne s’inscrivait pas dans le rêve, mais dans l’attente d’un être, façonné dans le dessein de Dieu. Je prenais ainsi conscience que la maternité de l’adoption était aussi complète que la maternité naturelle. Après un parcours, long de deux ans et semé d’embûches, pour obtenir l’agrément d’adoption, Marie, petite fille âgée de six mois et atteinte de trisomie 21, est arrivée dans notre foyer. C’était le 31 mai 2013.

© Florence Brochoire

 

Je vois dans cette adoption la dimension de l’appel. On m’avait enseigné, petite, que Dieu avait un dessein pour chaque personne, et que, d’après la Bible, Il nous appelle chacun par notre nom (Isaïe 45, 3). Je le savais, mais ne l’avais encore jamais expérimenté dans ma chair. Je pensais aussi que cela était réservé aux saints ou à des personnes menant des vies extraordinaires. Mais j’ai découvert que, dans sa grande patience, le Christ m’appelait personnellement et m’invitait à aimer davantage à travers Marie. J’ai expérimenté concrètement Son amour inconditionnel. En cela, je peux dire que l’adoption m’a convertie. Avant la venue de Marie chez nous, j’ai pu dire à Dieu qu’il frappait peut-être à la mauvaise porte. À chaque fois, c’est comme si j’entendais : “Non, c’est toi.” Le Christ est venu me chercher d’autant que je n’avais jamais été confrontée au handicap auparavant. Il m’a choisie avec mes talents, ma fantaisie, mes faiblesses et mes imperfections. Et son amour était tellement inconditionnel que je me sentais libre de ne pas répondre à son appel. Mais l’intuition selon laquelle je passerais à côté de quelque chose ne me quittait pas. J’ai fini par accepter l’idée que Dieu me connaissait mieux que moi-même. La question n’était pas d’être capable toute seule, à ma petite mesure, mais de Lui faire confiance. Il nous donne en effet les moyens de Lui répondre en restant dans la paix. Aussi, cet appel ne cachait-il aucun piège : j’ai vu et compris tous les renoncements que cette démarche impliquait, à court, moyen et long terme.

 

 

Lorsque nous avons annoncé cette décision à notre entourage, certains nous ont considérés comme des héros. Il n’en est rien. Le Christ a pour chacun une mission particulière. Je ne pourrais jamais être institutrice ni donner des cours d’alphabétisation. C’est pourquoi, dire que cet enfant a de la chance et que nous sommes des gens héroïques est biaisé car dans une démarche d’amour tout s’inverse : c’est l’autre qui nous fait grandir. C’est nous qui avons le privilège d’avoir reçu Marie. C’est elle qui nous enseigne tout. Je crois même qu’elle a une prédisposition au bonheur car tout est saveur pour elle. La société fait du handicap une souffrance en signifiant à la personne qu’elle est un poids. La normalité est un mensonge. Un jour peut-être déciderons-nous que les personnes handicapées sont les sages de notre temps et que nous avons tout à apprendre d’elles.

 

 

Les scientifiques théorisent sur le handicap, mais ne sont pas toujours rattachés au réel. Je ne suis pas intellectuelle, je vis simplement au sein de ma famille. Et aujourd’hui je vois que Marie a sa place au sein de la fratrie, et qu’elle nous apprend à mieux aimer. Elle n’est pas un médicament, mais un révélateur bienfaisant : elle nous décentre de nous-même et nous oblige à nous situer davantage dans l’être. Elle nous éveille à la joie du moment, à l’émerveillement, au beau. Ainsi, son hypersensibilité m’ouvre à la musique classique, alors que j’y étais hermétique. Il n’y a pas une semaine sans que je pleure lorsque je la regarde. Marie m’a fait aussi fait gagner en liberté intérieure. Elle m’a permis de m’affranchir d’une peur de mon image. De poser des actes qui ne correspondent pas forcément aux attentes de la société. Elle m’insuffle l’envie d’aller vers l’autre. Sans elle, je n’aurais jamais écrit Tombée du nid ni participé à des émissions ni appris la langue des signes. Grâce à elle, je vis ma foi loin de tout mysticisme, de manière vivante et incarnée. »

 

© Florence Brochoire

 

Les étapes de sa vie :

 

1978 : Naissance à Nantes.

1999 : Mariage avec Nicolas dont naîtront six enfants.

2000 : Deug de physique-chimie.

2008 : Crée un atelier participatif de couture et de peinture.

Le 31 mai 2013 : Adoption de Marie.

Mars 2015 : Publie Tombée du nid (Terramare). Fondation de l’association Tombée du nid.

Depuis mars 2016 : Porte-parole en France du mouvement mondial Stop Discriminating Down.

Juillet 2016 : Obtention de l’agrément pour adopter un deuxième enfant.

Le 27 octobre 2016 : Publie Petit à petit (Salvator).

 

Une conférence et un livre :

 

L’Office chrétien des personnes handicapées (OCH) organise une conférence avec Clotilde et Nicolas Noël le mercredi5 octobre, à 20h30, à Paris XVIe (voir ci-dessous).

Après son ouvrage Tombée du nid (vendu à des milliers d’exemplaires et bientôt traduit en anglais), qui relate le long parcours vers l’adoption, Clotilde Noël publiera le 27 octobre Petit à petit (Salvator). Un livre où elle donne la parole à des familles confrontées au handicap et retrace les années qui ont suivi l’adoption de Marie ainsi que le cheminement spirituel qui en a découlé.

Le 5 octobre : Grande Crypte, Saint-Honoré d’Eylau, 69 rue Boissière, Paris XVIe.

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