Boîte à outils

Pablo

Chère petite Marie-Garance,

Que j’ai hâte de te rencontrer en vrai, ainsi que tous les autres enfants extraordinaires de la Team « Tombée du Nid », depuis le temps que nous nous connaissons ! Marie-Garance, on était au courant de ton arrivée avant même votre annonce ici, car on a un meilleur ennemi commun toi et moi, que nous avons appris à connaître et avec lequel nous cohabitons. Il s’appelle West : le « syndrome de West ».

C’est devant la mer, à Malaga, en Espagne, que je t’écris. C’est devant cette même mer, que je suis né il y a exactement deux ans, le 28 décembre 2015. Je m’appelle Pablo. Aujourd’hui, entre les fêtes de Noël et du nouvel an, c’est ma fête à moi : je souffle aujourd’hui mes deux bougies…

 

Les premiers mois de ma vie, je les ai vécus dans une jolie ville française appelée Versailles, comme nos copains Vianney et Mayeul (livre « Petit à petit », pages 157 et 196). Au début, j’étais un bébé blondinet et doux, très gourmand et très câlin. Mais voilà, un jour tout a basculé. Je me suis mis à pleurer beaucoup, j’avais des spasmes importants qui me tordaient en deux. Maman s’est épuisée en consultations : «Madame, c’est des coliques (…) Madame, il fait ses dents, voyons (…) Madame, tachez donc de déstresser un peu…»

Maman était jeune et mère pour la première fois. Elle essayait donc de faire confiance aux spécialistes, mais au fond d’elle, elle sentait bien que j’avais autre chose. Après avoir tout essayé, c’est finalement un ostéopathe (THE ostéopathe, M. Paravay) qui a suspecté que j’avais quelque chose au niveau du cerveau. Direction l’hôpital pour une longue hospitalisation. Ouf, maman n’était donc pas folle, j’essayais bien de lui faire passer le message.

 

Quelques jours plus tard, le diagnostic est enfin tombé, comme un couperet. Je suis donc porteur d’une maladie rare comme toi, Marie-Garance: le Syndrome de West, une forme rare d’épilepsie. Le laps de temps entre les premiers symptômes et le diagnostic a été long, il était donc devenu encore plus difficile d’enrayer les crises en un claquement de doigt.

Je suis alors resté trois semaines à l’hôpital, bébé mascotte de 5 mois aimé de tout le monde : médecins et infirmières, amies de maman, parents de maman (el abuelo y la abuela) qui étaient venus d’Espagne pour prêter main forte. C’est si important qu’une jeune mère complètement désemparée soit bien entourée dans ces moments-là.

A ma sortie de l’hôpital, maman et moi sommes rentrés vivre en Espagne. Je sentais bien que depuis quelques temps, maman n’était pas heureuse à la maison, et c’est curieusement ma maladie qui lui a permis de puiser le courage, de franchir le pas et de tout quitter, pour reconstruire sa vie au bord de la mer. C’est ma faiblesse qui l’a rendue forte. Mais elle a eu beaucoup de peine de quitter ses amis et la belle ville de Versailles après six ans en France !

 

Hélas, une fois rentrés en Espagne, la maladie a repris le dessus, plus agressive encore. Nouvelle hospitalisation d’urgence, un mois encore. Toutes les nuits, maman me prenait dans ses bras pour dormir. Il n’y avait rien à faire, maman ne souhaitait pas que quelqu’un d’autre prenne le relais. Quand les infirmières s’en sont rendues compte, attendries, elles ont alors pris l’habitude de m’installer dans ses bras, avec tous mes câbles, entre deux crises, à chaque fois que c’était possible.

Il s’est avéré que j’étais pharmaco-résistant. Les fameux protocoles auxquels les médecins sont si attachés n’avaient sur moi aucun effet, on attendait une amélioration grâce à eux mais je n’avais plus de temps… Tu sais, Marie-Garance, les médecins sont formidables, ils connaissent bien la médecine, bien mieux que les mamans. Mais les mamans, elles, elles connaissent bien leur enfant, bien mieux que les médecins ! Alors bien sûr, il faut que les mamans écoutent les médecins. Mais il faut aussi que les médecins écoutent les mamans.

 

J’étais en train de mourir, ça sentait la fin. C’est alors qu’une neurologue nous est tombé du ciel : elle a proposé à maman de tenter la solution de la dernière chance: stopper tous les protocoles et me placer à l’isolement avec un traitement de corticoïdes en intramusculaire (traitement découvert à Necker), hospitalisation à domicile et aucune garantie… Ce traitement était d’autant plus risqué que j’avais chopé en plus de ça une infection pulmonaire très grave lors de mes hospitalisations. Bref, c’était vraiment du quitte ou double…

Un ami de maman, tout de noir vêtu style Matrix, est venu me mettre de l’huile et de l’eau, ça s’appelle l’extrême onction. La situation était critique : je ne voyais plus, je ne bougeais plus du tout, j’avais une sonde pour me nourrir. Ma chambre s’était rapidement transformée en petite chapelle, des reliques, des statues, des images… Les amies de maman et même certaines infirmières venaient prier, derrière une porte vitrée car j’étais à l’isolement. Et pour ne rien arranger, on a aussi découvert que j’avais une seconde maladie, cardiaque cette fois-ci. Je suis comme toi, Marie-Garance, je collectionne tout ce qu’il ne faut pas, moi !

 

Mais j’ai survécu ! Je suis ici, bien en vie et très heureux ! Ma vie est une aventure. Peut-être qu’un jour je pourrai enfin voir parfaitement, ou pas… Peut-être que je marcherai, ou pas… Peut-être que j’acquerrai de l’autonomie, ou pas… Mais quoi qu’il advienne, je sais que maman m’accompagnera sur ce chemin semé d’embûches, dans chacun de mes progrès. Et comme l’a récemment confirmé la ONCE (fondation des malvoyants d’Espagne) dans son bilan pour le centre de valorisation pour le handicap, je suis un enfant « remarquablement heureux auprès de sa maman ». N’est-ce pas le plus important ? N’est-ce pas la seule chose vraiment importante ?

Je suis le bébé le plus gâté au monde. Mes grands-parents chez qui nous habitons sont merveilleux. J’adore caresser le visage del abuelo à qui je ressemble tant. Il me passe toujours sur le front une photo d’un Saint qui s’appelle Don Alvaro et qui a l’air cool, du coup je profite pour lui demander aussi plein de choses. J’aime aussi ronronner dans les bras de la abuela qui est si tendre et si aimante. Quelle chance pour moi, d’être entouré d’autant d’amour ! Et juste en face de chez moi, la mer et ses mouettes, que je ne peux pas voir, mais que je contemple grâce aux descriptions que m’en fait maman. On a même aperçu des dauphins l’autre jour.

 

Le chemin va être long, maman demande tout particulièrement au petit soldat de l’amour que vous connaissez bien, Gaspard, entre Terre et Ciel, de m’aider de là-haut, et je sais que je ne suis jamais seul, je pense tellement à lui et à tous les autres qui nous protègent de là-haut, et aussi à nos amis West qui les ont rejoints ces derniers mois. Tout comme toi, Marie-Garance, j’essaie de combler maman tous les jours de beaux sourires. Et pourtant, pour nous, les West, ce n’est pas évident de montrer nos sentiments, mais nous y sommes tous les deux arrivés ! On ne lâche rien !

Je te fais plein de besitos, Marie-Garance, ainsi qu’à ta sœur Marie, tombée du nid, à toute la famille et à la grande communauté « Tombée du Nid ».

 

Joyeux Noël et bonne année !

 

Je te laisse, c’est l’heure de mon biberon d’anniversaire maintenant.

 

Pablo (sous la plume de ma maman Alicia).

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