ZELIE MAG – L’accueil ? Une thématique banale, tant de fois évoquée, peut-être mièvre et idéaliste. Ce n’est pourtant pas ce que montrent les témoignages de ces femmes qui ont bousculé leur espace personnel pour accueillir l’autre : pèlerin, enfant « tombé du nid » ou encore personne en situation de handicap. Elles laissent découvrir plusieurs dimensions de l’accueil. D’abord, le don de soi : de son temps, de sa maison, de son empathie. Don gratuit, qui peut paraître fou, comme le souligne Clotilde Noël, qui a adopté une petite Marie atteinte de trisomie. Il est difficile de ne pas y voir la vertu chrétienne de la caritas (charité), sans laquelle les meilleures intentions ne servent à rien.

 

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En 2013, Clotilde et Nicolas Noël, parents de six enfants, ont adopté Marie, une petite fille trisomique âgée de 6 mois. Clotilde a raconté leur parcours vers cette adoption dans Tombée du nid (éditions Terra Mare) paru en mai 2015 et vendu à plus de 11 000 exemplaires. Pendant deux années, Clotilde et Nicolas ont enchaîné les rendez-vous, souvent longs et épuisants, avec les experts et les commissions afin d’obtenir l’agrément pour accueillir cet enfant. Vivant et poignant, ce témoignage écrit pour la famille et pour Marie, célèbre la force d’un amour débordant, accueil inconditionnel de l’autre. Entretien.

Zélie : Comment qualifiez-vous le désir d’un enfant différent qui vous habitait depuis 2004 ?

Clotilde Noël : C’est une vocation, un appel d’amour qui ne peut venir de nous, tant il est fou ! Une invitation à quitter notre terre, notre confort. Nous sommes tous appelés à des choses différentes. Nous avions les capacités et le tempérament pour ce projet-là qui est fécond pour nous, contrairement à d’autres projets que nous ne serions pas capables de réaliser ! Le Christ nous appelle par notre nom, pour vivre des choses qui collent à notre projet de vie. Il nous fait confiance. Ce projet n’est pas pour nous de l’abnégation, mais vraiment un appel à aimer davantage.

Quel rôle a joué la foi dans votre parcours d’adoption ? Sans la foi, nous n’aurions pas pu aller jusqu’au bout. Je n’aime pas que certains disent que ce que nous avons fait est extraordinaire : sans la foi, nos propres forces n’auraient pas suffi ! Cela aurait été un mensonge de l’occulter dans notre témoignage. Cependant, je n’ai pas parlé dans le livre de tous les signes reçus, car la foi se vit de façon intime. J’ai vécu une rencontre avec le Christ et ressenti son amour inconditionnel. Nous n’avons pas peur de la mort, car nous avons choisi l’amour !

Comment votre couple a-t-il vécu le parcours du combattant qui vous a permis d’adopter Marie ? Cela a été très difficile, mais nous a permis de mieux nous connaître, notamment lors des entretiens avec la psychiatre. Nous sommes restés soudés ; aucun des deux n’a dit qu’il fallait arrêter. Ensemble, nous nous sommes posés des questions sur la société. Nous avons réfléchi à la parentalité : pourquoi nous battions-nous pour un enfant qui était déjà là, alors que nous pouvions facilement en avoir un par nous-mêmes ? Nous nous sommes libérés du regard des autres, de l’agressivité des assistantes sociales. Nous nous sommes corrigés mutuellement sur ce que l’autre avait dit en entretien, et nous étions obligés d’accepter ses remarques, puisque nous poursuivions la même cause. Quand c’était difficile pour l’un, l’autre essayait de le soutenir, tout en respectant sa souffrance. Notre couple aurait pu exploser pendant toutes ces démarches, mais cela aurait été trop simple. Nous avons dépassé cette souffrance pour en faire une chance.

Cela a pourtant été la plus grande souffrance de notre vie. L’attente était devenue injuste, absurde, quand un rendez-vous durait 4h30 et qu’on nous disait : « Vous ne sortirez pas tant que vous ne nous aurez pas tout dit. » Grâce à la foi, nous n’avons pas élevé la voix, nous avons dit des choses que nous n’aurions pas su évoquer sans l’Esprit-Saint. Nous en sommes sortis plus fort, plus matures, et aujourd’hui nous n’en gardons aucune amertume ; le livre n’est pas un règlement de comptes. Nous savourons notre bonheur avec Marie depuis deux ans et demi, et nous n’arrivons pas encore à réaliser…

 

Comment vos enfants ont-ils accueilli Marie ?

Marie a été instantanément accueillie par ses frères et soeurs. Ils ont vu un bébé plein de vie ; elle est si jolie ! Marin, 8 ans, s’est présenté à Marie et en voyant son sourire a dit : « Elle m’a adopté ! » Baudouin, 11 ans, était très inquiet puis a confié : « Ça va comme sur des roulettes… Elle est tellement belle ! » Maintenant, en rentrant à la maison, ils se précipitent sur elle. Marie leur fait des câlins quand ils ont une mauvaise note. On lui apprend le langage gestué. Elle trouve des solutions pour arriver à ses fins. Elle nous apprend à nous arrêter, à la regarder, à aimer.

Vous évoquez les joies de l’accueil. Quelles sont les difficultés rencontrées ?

Marie a cinq rendez-vous médicaux par semaine. Cependant tout enfant a ses problèmes, nous avons aussi un enfant dyslexique, un précoce, un autre qui a fait une dépression quand il avait 4 ans… L’enfant parfait n’existe pas ! Marie dort bien et mange bien, elle est tout le temps heureuse. Nous avons choisi ce handicap. Nous sommes très entourés, par des spécialistes, par la garderie ou encore par la Fondation Jérôme Lejeune. Il faut être inventif et ingénieux face aux difficultés, insister, être libéré de l’idée selon laquelle à 3 ans, on va à l’école ! J’ai trouvé une organisation avec Marie, les autres enfants, mon travail – j’ai un atelier de couture chez moi en auto-entrepreneur -, pour cette année. À chaque jour suffit sa peine ! Comme pour toutenfant, il faut être malléable et s’adapter. Marie nous guide, et nous oblige à sortir de ce qui était prévu.

Vous avez créé l’association Tombée du nid à laquelle sont reversés les droits d’auteur du livre, et qui oeuvre pour aider les plus faibles. Quels en sont les fruits ?

Cela nous a notamment permis de créer une communauté, avec la page Facebook « Tombée du nid » (18 000 abonnés) sur laquelle des parents évoquent leur histoire avec un enfant différent. Le but n’est pas de tout raconter mais de montrer qu’ils font de leur histoire une chance. Cette communauté permet de créer des ponts, de se serrer les coudes, de trouver des aides. Nous avons été contactés par un photographe et un graphiste désireux de rendre service, nous créons nos propres projets. Les parents du petit Gaspard (cf. la page Facebook « Gaspard, entre terre et ciel », enfant atteint d’unemaladie neurodégénérative incurable, ndlr) sont devenus des amis. Nous faisons de nouvelles rencontres : par exemple un photographe, qui va venir faire des photos pour un article dans le magazine Maxi, nous a dit qu’il était très heureux de faire notre connaissance, car il a un fils trisomique. On nous a dit qu’avec Marie, nous n’aurions plus de vie. En fait, nous commençons une nouvelle vie ! •