Témoignages

Thibaud

Bonjour petite Marie « Tombée du Nid »,

Je m’appelle Thibaud. Ton histoire, celle de ton adoption, a beaucoup ému ma maman. Cela semblait la toucher profondément. Moi, du haut de mes presque sept ans, ça m’a étonné, parce que franchement, sans vouloir te vexer, on ne se ressemble pas vraiment ! Déjà je suis un garçon, et même si ma grande sœur te trouve « trop mignonne ! », je ne voyais pas trop ce que nous avions d’autre en commun.

Alors Maman m’a raconté mon histoire, celle de notre famille, pour moi, mais aussi pour faire connaître tous ces enfants dont les particularités, moins « visibles », bouleversent des vies… Mais amènent aussi tellement de bonheur.

Dès ma venue au monde, maman sent que « quelque chose cloche ». Je hurle de douleur et me contorsionne. Mes six premiers mois sont ainsi faits de cris incessants, de pleurs et de nuits blanches pour mes jeunes parents qui ne dorment en alternance que quelques siestes par nuit, alors qu’ils travaillent tous les deux…

Après de nombreux diagnostics, tous moins convaincants les uns que les autres, voici la dernière piste qu’on nous déballe : « Bon, Madame, vous faites manifestement un sérieux baby-blues. Je vous prescris ces antidépresseurs, qui vous calmeront, et donc, par voie de conséquence ça calmera votre bébé » (!). Mais ma maman a un peu de caractère, alors les antidépresseurs, elle ne les prend pas, car elle se rend bien compte qu’elle n’en a pas besoin. Elle et mon papa ne savent pas pourquoi je vais si mal et ils se sentent donc désarmés de me voir autant souffrir, mais ils savent bien que ce n’est pas à cause d’un prétendu baby-blues que je pleure !

Au bout de ces six douloureux premiers mois de ma petite vie, c’est mon papa qui se rend compte le premier que je n’ouvre jamais ma main gauche, et que quand je me redresse, je ne me sers que de mon bras droit. Après une énième visite chez la pédiatre, celle-ci minimise : « votre enfant a simplement dû avoir le bras gauche un peu coincé à la naissance, rien d’alarmant, Madame ».

Heureusement la providence a voulu que maman, par son travail (ma maman est institutrice), soit en contact avec le CAMSP (Centre d’Action Médico-Sociale Précoce). Elle finit par obtenir qu’on me fasse un bilan général au bout de trois nouveaux mois d’explications et d’attentes. Et c’est là que tout bascule. Un tsunami. En une phrase, tout tourne et s’accélère : « Madame , vous avez raison, il y a un vrai problème. Votre fils a une hémiparésie, c’est un handicap. » .

Phrase-choc qui provoque chez ma maman des sentiments ambivalents. Tout d’abord elle est soulagée ! Elle n’est pas folle, on a enfin trouvé ce qui clochait ! Et puis très vite, c’est l’angoisse absolue. Car le mot a été lâché : elle a bien entendu « handicap » , pas « maladie ». Cette « hémi-truc », ça ne se soigne pas ? Peut-on vivre avec ? Et comment ? Pourrai-je marcher ? Aller à l’école ? Vais-je finir par arrêter de souffrir comme ça et de hurler dès que l’on me pose ?

Dans la foulée , maman apprend, avec un IRM qui le confirme, que j’ai fait un AVC à la naissance ou plus vraisemblablement in-utero. Du coup, tout le côté gauche est touché, pas seulement la main, mais TOUS mes muscles côté gauche. La marche va donc être problématique aussi, et beaucoup d’autres problèmes s’expliquent enfin : ma mauvaise déglutition et mes fausses routes, mes hurlements de douleur, puisque mes muscles sont contractés et très spastiques.

Le pédiatre en chef du CAMSP explique à ma maman que l’hémiparésie est une sorte d’hémiplégie plus ou moins complète, liée à une lésion cérébrale, et que plus elle est détectée tôt, plus les chances de récupération motrice sont bonnes. « Tout peut se jouer avant trois ans, Madame. Certains de ces enfants sont seulement dépistés vers deux ou trois ans quand la marche ne se met pas en place, et à cet âge, c’est presque trop tard, alors vous avez eu raison d’insister ! ».

Ma maman comprend que l’on a perdu en tout neuf mois de rééducation pour ne pas l’avoir prise au sérieux. Mais bon, en avant ! Bien décidée à se battre contre ce foutu « hémi-machinchose », les rééducations se mettent en place : séances de psychomotricité, kiné, orthophonie, ergothérapie rythment la semaine.

La bonne nouvelle, c’est que très vite je fais des progrès : en moins d’un an, je récupère quasiment toute la marche de la jambe gauche… Mon bras est bien plus touché, la préhension main gauche s’ annonce difficile et un gros retard de langage pointe le bout de son nez. Je vous passe les détails de tous mes petits progrès.

Trois ans plus tard, et après un déménagement pour se rapprocher de mes médecins, je rentre à la maternelle (période vraiment pas rose), puis grâce à une dérogation pour un changement d’école avec douze heures d’AVS, une magnifique année de CP l’année dernière, avec une maîtresse vigilante, attentionnée, qui me considère d’emblée comme ayant toutes mes chances, et qui s’attache tout le long de l’année à me donner le sourire !

Alors maintenant, j’aime l’école ! J’ai appris à bien écrire, à très bien compter, et je commence à bien déchiffrer. Que de progrès ! Je viens de faire ma rentrée en CE1 avec toujours une AVS. Objectif : consolider la lecture !

Tu vois Marie, tout ce chemin parcouru ! Il y a six ans, mes parents se demandaient si je pourrais marcher un jour normalement ; et aujourd’hui la réponse est oui ! Mon bras gauche, ma main surtout, restent bien touchés, et la préhension à gauche sera difficile à obtenir. Mais Maman le dit : je ne suis pas que des difficultés, des rendez-vous chez les médecins, des pleurs et des angoisses : je suis un petit garçon dont le sourire est le rayon de soleil de la famille. Mes progrès sont des victoires. Maman dit que j’ ai donné une nouvelle impulsion à sa vie qui ronronnait doucement.

Petite Marie, ma maman me charge de te dire que moi, Thibaud, j’apprends tous les jours à mes parents à se dépasser. Avec mon handicap, je leur montre que quand on veut quelque chose, à force de persévérance, cela devient possible. Je leur apprends à croire en l’avenir, à protéger cette vie si fragile et pourtant si forte qui reprend le dessus.

Ce regard plus attentif et plus apaisé que maman acquiert sur les particularités de chacun, et notamment sur ses petits élèves, moi, Thibaud, j’en suis « la clef », dit-elle ! Elle me dit merci d’être son fils, car oui, elle se considère chanceuse d’avoir eu un petit oiseau comme moi dans son nid.. Et dire qu’elle n’a même pas eu à aller me chercher !

Thibaud, ton nouveau copain (sous la plume de ma maman Isabelle)

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