Marie, cela fait longtemps que je souhaite t’écrire pour te raconter la petite vie de notre famille, mais je n’ai jamais osé. Aujourd’hui je me lance ! Chez nous, la particularité est simple : elle est en plein milieu de la fratrie et pas « tombée du nid » !
Comme l’ont écrit un jour nos parents, en novembre 1989, un autre mur que celui de Berlin s’est écroulé : celui de leurs certitudes, de leur avenir pré-établi, de la normalité. En effet, presque deux ans jour pour jour après sa grande sœur, Louis est né. Comme on dit chez nous, « il a mal compté ses chromosomes » Eh oui Marie, Louis est porteur d’une trisomie 21, comme toi.
Sa venue, je ne peux pas te la décrire avec précision, tout simplement parce que je n’étais moi-même pas encore née. Souvent, on me demande comment est la vie avec un grand frère trisomique. Je réponds que je ne sais pas comment c’est autrement, puisque ce n’est pas lui qui est entré dans ma vie, mais bien moi qui suis entrée dans la sienne.
Dès la naissance, les médecins ont eu des doutes et s’en sont ouverts à Papa, qui est directement allé rapporter leurs paroles à Maman. Puéricultrice de formation, elle a demandé à voir Louis. Elle a inspecté ses mains, ses paumes, son visage et a conclu : « Pas de doute, il l’est ! ». Te dire leur ressenti, je ne le puis. Il a fallu l’annoncer à sa grande sœur, lui dire que son petit frère n’était pas un bébé comme les autres… Ils lui ont offert un livre : « Un Petit frère pas comme les autres », et ce livre est depuis devenu “LE” livre référence chez nous. D’ailleurs, Louis, on ne l’appelle jamais Louis, mais Doudou, comme le héros de l’histoire !
Puis les années se sont succédées, avec beaucoup de questionnements et beaucoup de réponses. Je crois que la Foi, l’entourage familial et amical ont beaucoup aidé les parents. A l’âge de trois ans, Louis a eu une petite sœur et à cinq, une toute petite sœur (moi !). Après quelques années en école maternelle classique, Louis a intégré un Institut Médico-Educatif (IME) où il s’est beaucoup plu. Il y a eu plusieurs déménagements, et au même titre que nous avions nos écoles, Louis avait son IME. Il y a appris à s’épanouir, à grandir, à rêver, à apprendre ! Certes Louis ne sait pas lire mais il sait reconnaître des mots. Il ne sait pas écrire mais il sait recopier.
Après une marche tardive, Louis est devenu un sportif affirmé qui continue à faire des progrès et nous étonner de jour en jour. Il sait nager, faire du vélo, danser le rock et même skier ! Nous partageons les mêmes loisirs tous ensemble. Peut-être qu’un jour, Marie, tu feras aussi du ski nautique avec tes frères et sœurs !
Dès ses 8 ans, Louis a eu la chance de pouvoir commencer le scoutisme. Il en a largement profité, a fait sa promesse scoute, texte qu’il avait appris par cœur grâce à notre sœur aînée qui avait usé de toutes les tactiques pour qu’il le sache (enregistrements audio, signes) ! Il a compris ce à quoi il s’engageait et est capable de nous dire aujourd’hui : « Je fais de mon mieux parce que j’ai promis ! »
Louis et les autres ? No problemo ! Entre l’IME, ses dix ans de scoutisme et le sport adapté, il n’y a pas plus sociable que lui, qu’il soit avec des personnes porteuses de handicaps ou non, il est heureux et discute !
Il y a sept ans, Louis a eu l’agréable joie d’accueillir un deuxième garçon dans la famille, le mari de sa grande sœur chérie. Certes il lui piquait sa sœur aînée dont il était proche, mais il jouait au football mieux que ses sœurs, alors l’accueillir fut finalement très simple !
Louis a aujourd’hui 27 ans, presque 28, il travaille à l’ESAT (Etablissement Social d’Aide par le Travail) au service blanchisserie. Il passe une semaine par mois au Foyer d’Accueil Temporaire qu’il a choisi avec les parents et attend avec impatience qu’une place se libère pour qu’il puisse s’y installer définitivement.
Certains diront que c’est tôt pour partir. Mais s’il y a bien une chose que Louis nous a apprise, c’est que l’on ne peut pas tout anticiper ni décider pour lui. C’est lui qui, un jour à 16 ans, a annoncé aux parents : « Je veux aller en foyer»… ». Devant la mine déconfite de Maman, il a ajouté : « Ne t’inquiète pas, je reviendrai les week-ends ! » Lui était prêt, nous beaucoup moins. Le fait que les places manquent en foyer nous a permis de nous préparer à ce départ.
Louis, il peut être très casse-pied quand il décide de passer l’aspirateur le samedi matin à 9H, quand il se met à chanter alors que la musique était si belle avant ses fausses notes, quand il considère qu’être un homme fort, c’est porter les rouleaux de Sopalin, ou quand au moment de débarrasser la table… bah… il a disparu !
Mais ce qu’on apprécie le plus chez Louis, c’est quand spontanément il nous appelle pour nous raconter sa journée, quand le matin il prépare le petit-déjeuner, quand en soirée il nous invite à danser, ou quand il sort subitement de sa cachette surprise pour nous souhaiter la bienvenue lorsque l’on débarque pour le week-end !
La place de Louis dans la fratrie ? A chaque décision familiale, par exemple un cadeau pour les parents, on le consulte, sans trop lui en dire non plus parce qu’il ne sait pas garder un secret. L’avenir, personne ne le connait mais quoi qu’il arrive, le bonheur de Louis sera notre priorité.
Comment, de mon regard de toute petite sœur, je vois Louis aujourd’hui ? Il est grand et il est fort. Il est sensible et attentionné. Il est bienveillant envers tous et gaga devant sa filleule. Il est un homme qui sait ce qu’il veut, il a ses opinions, ses désirs, ses rejets ! Heureux avec sa famille, heureux d’être là !
Si je dois résumer Louis, je dirais que sa force à lui, c’est son sourire et son regard, une force qui nous pousse à nous dépasser en toutes circonstances.
Marie, je suis certaine que ta petite sœur Marie-Garance et toi, vous aurez une vie remplie d’autant d’anecdotes familiales, que vos frères et sœurs nous raconteront à leur tour.
Je vous embrasse bien fort toutes les deux et espère bien vous rencontrer un jour.
Estelle
« Toute Petite Sœur » de Louis
P.S. : Sur les photos, Marie, tu peux voir Louis avec une partie de sa famille au minigolf, les photos selfies prises dès la sortie du livre « Petit à Petit » en novembre dernier (sitôt acheté, sitôt photographié) et la dernière, c’est Louis et moi sur la tombe du professeur Jérôme Lejeune l’année dernière, grand moment d’émotion pour tous !