Chère jolie Marie Tombée du nid,
A la suite de toutes les histoires rassemblées dans ton livre jaune « Petit à petit », aujourd’hui, c’est à mon tour de te raconter la mienne. Je suis comme toi, « Tombée du nid ». Mais je n’ai pas la même particularité ; pas de petit chromosome supplémentaire glissé dans les rouages de mon génome, mais un handicap cérébral. Un nom barbare qui fait peur aux médecins. Un “gros mot” qui n’existe pas en Makaton, le langage des signes. Un mot qui sonne grave dans mon petit corps de 14 mois.
Je souffre d’une “schizoencéphalie kystique bilatérale” avec un “syndrome de West” associé. Je ne vais pas te faire la liste de tout ce que je ne pourrai jamais faire car à la maison, on n’aime pas les “jamais”. On préfère regarder ce que je fais “déjà”. Par exemple je souris lorsqu’on s’occupe de moi, je fais des areu-areu par milliers quand on me parle, et je rigole comme une baleine quand papa me chatouille. Mes éclats de rire sont tellement puissants que je les communique à tous autour de moi, avant qu’ils ne se mettent à pleurer d’émotion. Bref, je crois bien que j’ai moi aussi des super pouvoirs.
Tout comme toi, Marie, je suis née deux fois : du ventre de ma maman biologique, puis dans les bras de mes parents.
Tout comme toi, Marie, ma mère biologique m’a déposé le doux prénom de Marie avant de s’en aller sur la pointe des pieds.
Tout comme toi, Marie, quand papa et maman m’ont serrée pour la première fois au creux de leurs bras, je leur ai fait une fête incroyable. Une rencontre inscrite, attendue et sereine. Je les ai transformés en deux madeleines.
Tout comme toi, Marie, je suis tombée folle de mon papa. Ce grand gaillard en costard les jours ouvrables et en footballeur le week-end s’est littéralement liquéfié devant moi.
Tout comme toi, Marie, j’ai vu débarquer quelques minutes plus tard une véritable colonie de vacances : « Eh ben, vous êtes combien, dans cette famille ? »
Petits et grands ont tout de suite été gaga de moi. Même pas impressionnés par tout le matériel en mousse qui maintient mon corps si fragile. Ils ont décrété que rien n’était grave puisque je rigolais. « C’est le principal, ont-ils dit, on va pouvoir rire et s’amuser ! » Ce n’était pas si sûr que je sache sourire, cela fait partie des surprises de la vie que les blouses blanches les plus savantes ne pourront jamais anticiper. Petits et grands n’ont pas été impressionnés non plus par la sonde gastrique branchée la nuit pour me nourrir. Baudouin a expliqué à Brune que le bouton sur mon bidon était comme les bouchons de ses brassards de plage.
Et puis je t’ai vue, toi, Marie, avec tes jolis yeux bleus, ta queue de cheval qui suit l’oscillation de chacun de tes pas et ton gilet à poil (il paraît que moi aussi j’en aurai un bientôt, c’est la touche mode des filles de la famille). Tu as déposé un doux bisou sur mon front en articulant « bé-bé ». Petits et grands se sont alors rués sur toi pour t’annoncer : « Marie, te voilà grande sœur ! »
Depuis quelques jours, mon petit lit à barreaux est accolé au tien et à celui de Brune. La chambre des trois fées. Mon lit est rehaussé d’un matelas en mousse creusé pour me maintenir dans la bonne position car ma tête ne tient pas toute seule. Maman m’appelle donc « la princesse au petit pois » avec toutes ces superpositions de matelas.
Tout le monde veille sur moi. A peine rentrés de l’école, sans même retirer manteaux et sac à dos, les quatre grands viennent me parler et m’embrasser. Mais ils ne t’oublient pas au passage. Tu restes toujours leur petite fée chérie. Et tu fais craquer tous les spécialistes et infirmières qui viennent s’occuper de moi. Tu fais les présentations, tu crées le lien, comme d’habitude. A ta manière.
Brune contrôle de près les habits que maman me choisit « au cas où cela serait moche », dit-elle. Philou veille à ce que tu ne me marches pas dessus ou qu’un baiser ne se transforme pas en claque, on sait jamais. Tu m’apprends déjà plein de choses et tu essayes même de pousser ma chaise à roulettes.
Marie, on a toute la vie pour s’aimer. Quel vaste programme ! Oui, nous voilà ” sœurs de cœur “. C’est plus fort que le sang. Si tu regardes bien, ” sœur ” et ” cœur ” sont deux mots presque identiques. Pour nous différencier tout en gardant notre histoire, papa et maman ont accolé à mon premier prénom le deuxième prénom que les services sociaux avaient choisi pour moi. Ainsi je m’appelle Marie-Garance, un prénom que tu sauras prononcer bientôt.
Alors voilà, Marie. Notre maman a décidé de me présenter à tous tes copains de cette belle communauté “Tombée du Nid , sans tambours ni trompettes, comme tous les autres enfants. Pas de piston !
Je te remercie, Marie ma sœur chérie, car maman dit que c’est grâce à toi que je suis là. Tu leur a permis d’avancer pour arriver jusqu’à moi. Grâce à toi, leur cœur et leurs bras se sont ramollis encore pour qu’ils puissent s’ouvrir mieux. Grâce à toi, ils ont créé des liens forts avec tous les enfants qui ont rejoint cette page “Tombée du Nid”. Tous ces messagers qui leur ont appris que la vie, même fragile, surtout fragile, mérite d’être accueillie comme elle est.
Grâce à nous, nos parents ne vont pas s’ennuyer. Ils ont intérêt à continuer à faire leur sport à fond pour se muscler et avoir de l’endurance, car ils vont nous porter jusqu’à l’éternité. Mais on allégera leur cœur avec le bonheur fou qu’on leur donnera. Ils le savent bien, c’est pour cela qu’ils n’ont pas peur. Ils ouvrent leurs mains, le reste se fera au fil des jours… Petit à petit.
Marie-Garance (sous la plume de notre maman Clotilde Noël)